Béatrice Viard, Responsable de la Boutique Culture

De la persévérance, du recul, et un oeil très affuté. A la tête de la Boutique Culture depuis bientôt une décennie, Béatrice Viard se livre au jeu des questions réponse sans faux semblants. L’occasion de s’aventurer dans l’arrière-boutique…

Peux-tu nous parler de ton parcours et de tes débuts ?

Je me suis d’abord orientée vers le Tourisme, l’accueil en particulier, l’étude de l’Histoire de l’Art y étant essentielle. Guide-conférencière (de la Cathédrale notamment), j’ai également cumulé des petits jobs (au Parlement Européen pour la Ville de Strasbourg, par exemple). Je faisais partie d’une association strasbourgeoise extrêmement active dans le domaine de l’Art contemporain à l’époque : « Art Aujourd’hui » et je baignais dans cet univers des plasticiens grâce au père de mes enfants.  Etre l’assistante du directeur du festival vidéo de Locarno et organiser des expositions et des manifestations de façon bénévole à continué à me former et à développer cette passion naissante. C’est à partir de là que Bernard Jenny a remarqué mon agitation et m’a demandé de le rejoindre au Maillon, Je lui garde une indéfectible reconnaissance : j’y suis restée presque 15 ans. Le Maillon de 1985 avait 4200 abonnés et le travail était intense puisque je cumulais toutes les fonctions, de RP, à la Presse, en passant par l’organisation du premier festival de jeunes compagnies « Le Mai Theâtral » et la responsabilité des expositions mensuelles. A son départ et sous les deux directions qui ont suivi, je me suis spécialisée tour à tour dans chacun de ces domaines en essayant de creuser le sillon que j’avais choisi pour apprendre encore. Avant de rejoindre la Laiterie en 1998, j’avais une grande envie de voir davantage de jeunes, scolaires en particulier, dans notre salle et nos efforts n’ont pas été vains.

A toi qui aime les beaux textes, la matière, la rencontre des mouvements,  que t’inspirent le territoire urbain local, l’offre culturelle et l’émulation artistique locale ?

Je ressens que le public a besoin d’intimité, de profondeur, du côté de la littérature en particulier,  mais aussi de choses amples et grandioses, à partager. Il trouve cette ampleur dans les concerts par exemple. La rue devient aussi une sorte de théâtre, mais il faut bien veiller à ce que le public ne devienne pas un « déambulateur approbatif ». Pour cela la salle reste irremplaçable car, comme le dit Michel Bouquet : « les acteurs  jouent, les spectateurs jouent aussi ». Ce qui me semble important, c’est de préserver et d’encourager cette part là, aussi active qu’invisible.

Comme la majorité des acteurs culturels que nous avons rencontrés tu as plusieurs cordes à ton arc et la particularité d’être touche à tout autant que spécialiste. Une caractéristique du milieu?

Sans aucun doute, je suis touche à tout. Il me semble que je me suis simplement spécialisée dans la relation avec le public et dans l’utilisation ou l’improvisation des outils qui pourraient le guider vers l’Art .C’est à cet endroit là que je me suis épanouie, que c’est à cette place là que j’aime être, entre les artistes  et le spectateur. Que pour y parvenir, il faille être polyvalent va de soi. Dans notre milieu, existe également l’importance de la qualité de l’accueil du public, des artistes, des journalistes ce qui induit de posséder, en effet, plusieurs cordes à son arc, et un savoir-faire qui oscille entre fermeté et diplomatie selon les cas. Nous sommes aussi les représentants de notre ville et avons le devoir de nous en montrer dignes !  Mais définir la programmation artistique d’un lieu et le diriger implique de posséder des qualités très spécifiques, d’un autre ordre, une prescience, une intuition, du culot, une vraie culture. Il y a des métiers différents dans notre domaine, qui ne s’équivalent pas.

Lors de ton premier stage à Lyon, tu as eu un conseil pour le moins intéressant de ton maître de stage?

C’est auprès de Michel Lecat, qui fut responsable des comités d’entreprises au Festival d’Avignon (à la grande époque-épopée ) que Bernard Jenny m’a envoyée; j’ai été attentive à un fait simple et toujours valable : savoir créer un lien réel avec ses interlocuteurs, se déplacer, bouger et adapter ses communiqués en fonction des journalistes : il y a une différence considérable entre  une radio qui fait une annonce fugace et percutante et un mensuel spécialisé qui a besoin de creuser son sujet.

Tout le contraire des e-mails uniformisés d’aujourd’hui. Combien pensent avoir tout fait en envoyant un communiqué à un listing…

La Boutique Culture fête ses 10 ans bientôt. Peux-tu revenir sur la genèse de la boutique -une initiative inédite en France –  et ce qui fait sa force aujourd’hui ?

En octobre 2003 Robert Grossmann et Dominique Paillarse me confiaient la responsabilité de la Boutique Cultur . Peu de références pour ce type d’établissement : l’Espace Culture de Marseille (public) et le Kiosque de la Madeleine à Paris (privé) sont différents. Nous avons d’emblée décidé ensemble que le service serait gratuit et que le lieu serait simple, ouvert et accueillant. Si le public veut nous parler, nous sommes ravis, mais s’il ne désire que chercher des documents et faire « son marché », il peut flâner en toute quiétude. La Boutique Culture est devenue incontournable, elle est un endroit de rendez-vous et d’échanges, et, je l’espère, un lieu paisible et agréable, un point de repère pour certains. Je suis très heureuse que depuis des années la municipalité continue de favoriser son développement. Nous pensions aussi que la Ville se devait d’avoir une attitude active auprès des organisateurs de manifestations. Il ne fallait pas attendre qu’ils nous informent, mais aller vers eux, les solliciter, les  rappeler. Afin  qu’ils se sentent soutenus. C’est un gros travail de recensement et de maintien du lien.

Quelle est ton analyse du public qui fréquente la Boutique Culture ? A-t-il évolué au cours de ces 10 ans, y-a t-il de nouvelles demandes ?

A mon grand étonnement, la majeure partie du public est jeune, davantage encore qu’au début. Nous devons cela en partie au fait que nous sommes devenus, à la disparition du CIJA, les pourvoyeurs essentiels de la Carte Atout Voir (de 11 à 26 ans pour les non-étudiants), mais aussi aux enseignants des lycées et collèges nombreux au centre ville, qui encouragent leurs élèves à se cultiver en allant au théâtre et aux spectacles en général. Les touristes, en revanche, me semblent encore trop peu nombreux : un potentiel à développer. Nous avons plusieurs demandes par semaine pour faire partie de notre billetterie, mais nous ne pouvons pas toujours  accepter, il faut répondre à des critères précis, nous sommes d’abord un lieu de promotion, ensuite un endroit de vente de billets. La billetterie est l’aboutissement d’un processus de collaboration, pas un préalable.

Dans quelle mesure la Boutique Culture est-elle un véritable indicateur de la vitalité culturelle de la ville?

Tout simplement parce qu’elle recense les propositions culturelles d’une façon complète et qu’elle diffuse largement cette information. Anne Kuhry, ma collaboratrice principale, fait chaque jour ce travail titanesque, relu par toute l’équipe, de noter heure par heure ce qui se passe sur le plan culturel, en un calendrier hebdomadaire, seul module qui permette une quasi-exhaustivité. C’est une bible. Je suis persuadée que cet outil a permis de concrétiser un fait ; il se disait : « il y a beaucoup de choses que se passent sur le plan culturel à Strasbourg ». C’était abstrait : cela ne l’est plus. En 2007-2008, nous sommes parvenus à compter 9656 propositions culturelles. On peut parler de vitalité.


La Boutique culture c’est aussi un lieu historique. Anciennement siège de l’historique pharmacie du Cerf (la plus vieille de France – depuis 1260 -), un livret a notamment été consacré aux peintures historiques qui ornent le 1er étage. Un lieu symbolique?

Comment ne pas sentir que cet endroit est particulier ? Il est depuis le 13ème siècle à côté d’une des plus extraordinaires cathédrales du monde (on ne va pas chipoter) et il est connu que les cathédrales sont bâties sur des endroits « favorables »; il fut un lieu de soin : des « simples », comme on appelait les plantes jadis, aux médicaments les plus élaborés du 20ème siècle. Deux sourciers-médiums sont passés chez nous en nous confirmant l’aspect bienfaisant de l’endroit ! Et tant pis pour les  rationalistes. Un peu de mystère ne fait pas de mal. Il est bon de ne pas tout comprendre. Les peintures du  premier étage sont exceptionnelles de par leur thème religieux dans un lieu privé. J’avais envie de les faire connaître et des spécialistes ont fait des recherches et des analyses pertinentes qui ont abouti à cette plaquette qui résume ce travail. Des visiteurs viennent  même du Canada pour les voir.

L’herboristerie, puis la Pharmacie soignaient les corps, aujourd’hui la Boutique Culture aide l’esprit à devenir meilleur grâce à l’Art. Symbolique, mais qui veut devenir réalité, non ?

Il y aune vingtaine d’années,  tu avais lancé le « déjeuner des cousettes », qui réunissait les chargés de com., médiateurs culturels des différentes salles de spectacle pour échanger autour d’un déjeuner, tirer dans le même sens et finalement mailler les chaînes de son réseau.

Toujours l’idée de l’échange réel ! Et de bien manger ! Les cousettes, pourquoi ? Car elles sont toujours indispensables, « les Petites Mains de la Haute Couture » (le jeu de mot ne vaut pas beaucoup plus cher qu’à l’époque, mais cela nous amusait !)  Peut-être est-ce plus nécessaire que jamais d’organiser des rencontres informelles et  productives d’idées et de solidarité à ce niveau de responsabilité dans les établissements, où, me semble t-il, les personnes ne se connaissent pas toujours.

Question vendanges tardives : une initiative ou un projet que tu aurais souhaité lancer et qui ne s’est jamais concrétisé?

La restauration des peintures de Leo Schnug, ce peintre un peu fou et génial, souvenir intangible de l’existence de cet endroit depuis le moyen-âge : le pigment  s’effrite de plus en plus. Tous les jours des personnes veulent les voir, soit parce que leur guide touristique les mentionne, soit car elles sont alsaciennes et que le souvenir de la Pharmacie du Cerf persiste dans leur mémoire. Cela me fait mal au cœur : je n’ai pas dû mettre suffisamment d’entêtement et de patience pour convaincre. Comme il faudra le faire de toutes façons (le lieu tout entier est classé au titre des Monuments Historiques depuis 1936 !) autant s’y mettre tout de suite, car une fois la décision prise, je suis persuadée que nous trouverons des mécènes pour nous aider !

Pour toi la culture c’est jamais sans ?

Passion et travail.

La ville se veut comme avec un fort potentiel, et une attractivité renforcée. Toutefois on a parfois l’impression que les relations entre les acteurs culturels, de la petite association à la grosse machine ne sont pas toujours très fluides?

Quand vous parler de relation fluides, si je traduis votre question, c’est : « pourquoi  les grosses machines n’intègrent-elles pas les petites associations à leur programmation? »  Les Taps jouent ce rôle pour les compagnies régionales. Le-Maillon s’associe régulièrement à des acteurs locaux. Il faut des années pour s’imposer  par la qualité de son travail : j’ai connu les tout débuts de Flash Marionnettes ou L’Accroche-Note (ce sont des exemples). Ils ont fait leur chemin parce qu’ils sont de vrais artistes et qu’il faut un sacré courage pour être un artiste.

Par ailleurs, la vitalité culturelle de Strasbourg repose sur un fait indéniable : les subventions municipales sont- objectivement et proportionnellement- extrêmement importantes, impossibles à dilater, d’ailleurs le faudrait-il ?  Alors favoriser les émergences sans jeter aux orties le passé n’est vraiment pas facile. J’ai aussi le sentiment qu’il y a de plus en plus d’offres, mais que la demande  du public ne l’exige pas forcément. La petite association qui débute- je ne parle que des professionnels, bien sûr, c’est à dire d’artistes qui engagent leur vie dans leur passion-  doit se rendre visible, et le temps compte.

Tu rentres tout juste de Marseille, où tu as “représenté” la culture à Strasbourg. Qu’est-il sorti de ces échanges et ces rassemblements ont-ils une utilité avérée?

Il s’agissait d’un village alsacien crée pour favoriser le déplacement des marseillais vers l’Alsace grâce à la nouvelle ligne TGV; j’accompagnai l’Office de Tourisme de Strasbourg pour y représenter le volet culturel. Il est difficile de mesurer concrètement un impact de ce type, c’est une promotion générale;  ce qui m’a vraiment impressionnée c’est  l’image extrêmement positive de Strasbourg  auprès de nos visiteurs, comme un refuge de valeur et de beauté. Mesurer un seul impact pris isolément  est difficile, c’est la persévérance qui paie. Toujours. « Step by step »

On sent la ville et les acteurs culturels moins sclérosés, avec une porte toujours plus ouverte sur la découverte, l’expérimentation. Mais une médiation vis à vis du public qui manque parfois cruellement. Partages-tu ce constat ?

Non. Le public de Strasbourg ne sait plus ou donner de la tête tant il a de choix. Beaucoup de salles sont pleines. Il ne faut pas oublier que le pourcentage de personnes fréquentant les lieux culturels est modeste (en proportion, et malgré nos efforts)  et celui qui s’intéresse à l’émergence encore plus petit. Il me semble qu’il s’agit davantage du temps qu’il faut pour s’imposer que du manque de moyens de « faire savoir ». Je m’inquiète davantage du devenir de ce que l’on appelle le « grand public » et me réjouis du succès magnifique du Requiem de Verdi au Zénith organisé par l’Opéra ou du grand concert du Jardin des deux Rives de l’Orchestre.

Tu travailles depuis 1985 dans le domaine culturel pour la ville de Strasbourg. Tu entames cette saison ta dernière année, lorsque tu te retournes que vois-tu dans le rétroviseur ?

Ma chance d’avoir travaillé dans un milieu privilégié  et ma reconnaissance pour tous ceux qui m’ont aidée et entourée, en particulier la belle équipe de la Boutique Culture.

Quelques événements  nous conseilles -tu  au mois de novembre ?

Nous ne pouvons pas favoriser, par une telle réponse, l’une ou l’autre proposition. Cela dépend de tant de choses : l’âge, la curiosité, les habitudes, le niveau culturel.

Venez nous voir à la Boutique Culture, nous  ferons votre « scanner artistique » et vous donnerons quelques pistes : les jeunes gens qui travaillent ici sont particulièrement bien équipés pour vous répondre d’une manière personnalisée !!

Allez, j’en donne un quand même : voir André Pomarat dire et lire « La légende des Siècles »  de Victor Hugo à la Librairie Kléber. C’est gratuit, de plus ! Et laisser votre e-phone à la maison.

Le mot de la fin ?

La Culture, à COZE, on en cause…

 

Article : Mourad Moubraki

Photo : Thomas Danesi

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