
Ce mois-ci nous avons posé quelques questions à Gilbert Coqalane, un artiste pluridisciplinaire qui vit et travaille à Nancy. Dans ses œuvres il cherche à questionner et à bousculer ce qui fait notre réalité. Vous avez sans doute entendu parler de lui cet été suite à sa performance intitulée Écocide. Gilbert Coqalane muni d’un arc et de flèches a attaqué le bison d’une célèbre enseigne de grillades à Essey-Lès-Nancy. Suite à cette action, l’artiste a été convoqué à la cité judiciaire de Nancy en début d’année et a écopé d’une amende. Nous lui avons posé quelques questions autour de son travail et de cette performance.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Artiste.
Comment qualifieriez-vous votre démarche artistique globale ?
J’importune au travers de travaux plastiques variant les supports et s’accompagnant d’offensives dans l’espace public et de publications, l’engourdissement ou la lenteur inéluctable des sociétés qui obéissent fatalement à des normes et à des règles.
Je puise dans le « bon sens commun humain », dans le « bon sens commun animalier » et dans la confrontation des deux, tout un répertoire d’habitudes et d’attitudes (visuelles, routines, linéarité…) dont j’éprouve les limites, de manière aussi bien fantasque que raisonnée, afin de créer des espaces de liberté.
Je me positionne dans le rôle de l’élément perturbateur dans les registres collectifs du « savoir vivre, savoir-faire, savoir être », me servant en préambule des techniques de la notion d’humour comme le comique conceptuel (ironie, antiphrase), l’absurdité (dissonance, paradoxe, inadaptabilité) ou encore l’humour de situation (quiproquos, anachronisme, incongruité). Ce cheminement se poursuit par l’utilisation de contraintes physiques / mentales et techniques (matériaux non académiques ou non consensuels) qui amènent à des émotions dites négatives (folie, échec, honte), pour atteindre finalement un champ ouvert (scientifique, philosophique, sociologique).
Comment vous est venue l’idée d’aller chasser le bison ?
Disons que c’est un cheminement dont il est difficile d’en faire une chronologie, cela passe par plusieurs étapes : l’observation de l’espace public en premier temps, cela fait des années que cette sculpture me fascinait, par mon désir de représenter l’art dans des lieux non conventionnels, les « zones » en font partie, ma thématique de prédilection qui est l’animalité, mon envie de perturber le réel, mes recherches sur le droit et en particulier celui de l’écocide, son « potentiel » d’absurdité et d’intelligence…
Avec ces éléments, s’est construit pendant plusieurs mois cette offensive dans l’espace public.
Vous attendiez-vous à une issue judiciaire à la suite de la performance ?
Oui, je savais qu’un arsenal policier et judiciaire allait se mettre en place, et c’est relativement logique et rassurant. Mon action étant placée dans la réalité, par conséquent, je travaillais sur cette offensive « sans filets », malgré beaucoup d’inconnus j’étais préparé, j’ai envisagé toutes les possibilités afin de pouvoir les traiter artistiquement, philosophiquement, cette action aurait pu prendre plusieurs directions, j’étais le protagoniste principal mais pas le seul, je savais que les forces de l’ordre et la justice auraient un rôle. Nous avons construit une réalité ensemble.
Quel message souhaitez-vous transmettre à travers le projet Écocide ?
Synthétiquement qu’un animal en plastique a plus de droits qu’un animal de chair et d’os.
Je voulais démontrer par la « preuve artistique » de l’importance des lois et de la justice, j’ai commis une faute (même volontaire), il existe une loi pour cela « destructions de biens d’autrui », j’ai été condamné. En matière d’environnement, le crime Écocide, qui est en résumé un crime qui porte une atteinte grave à l’environnement, n’est pas reconnu en France, des associations, des juristes, des scientifiques se battent pour la reconnaissance de ce nouveau terme juridique.
Sans cette nouvelle loi, des personnes ou entreprises, peut-être moins bien attentionnées que moi peuvent et dégradent déjà notre bien commun sans jamais en être inquiétées et encore moins jugées coupables.
Par la suite, le fait que j’étais en costume de torero lors de ma convocation au tribunal était la représentation de ce paradoxe.
Quelle suite pour ce projet ?
En principe, l’offensive Écocide a pris fin lors de ma condamnation le 4 janvier, cependant, je trouve qu’il manque quelques éléments ou possibilités de narration.
Il était impossible et je n’avais pas la prétention de réussir seul, que le crime « écocide » soit reconnu…dans mon cas le doute, les échecs et frustrations sont moteurs.
Il y aura forcément une suite, c’est mon métier et je pense que je peux, devrais faire plus… Il est important de savoir sortir de son atelier et de « faire société ».
Vos projets à venir / où peut-on espérer voir votre travail prochainement ?
J’ai toujours eu envie d’être le plus souple possible, cela permet de passer sans trop d’encombre les tempêtes, comme une crise sanitaire par exemple, d’éviter l’ennui et un peu « l’entre soi artistique », je peux trouver beaucoup d’intérêt et de plaisir selon les supports car en fonction, augmente l’expérimentation, le seul objectif est de respecter la ligne que je me fixe…
Plus concrètement en 2021, je vais sortir de mon atelier pour aller à la rencontre des étudiants (Workshop avec l’ENSAD Nancy, lycée agricole, lycée général, études supérieures, milieu carcéral, milieux associatifs venant en aide aux réfugiés), des ouvriers dans les usines, être sur scène pour l’Opéra de Nancy, faire une action au Mexique et en République Démocratique du Congo, travailler avec les galeries et centres d’art, être présent en librairie… et surtout je vais continuer à perturber le réel, après le bison, j’ai envie de mettre à l’honneur les blaireaux cette année.
http://www.certifiecoqalane.net/
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