Une traversée commune. Une invitation au bal des sens, autant qu’à celui du non-sens. Une fenêtre battante sur le monde et quelques claques bien senties. A force de se sentir tout chose, voir un peu barbouillé à chaque sortie d’exposition du côté de chez Stimultania, on s’est demandé qui se cachait derrière. Interview à cœur ouvert avec Celine Duval, qui nous parle de ce pôle de photographie, de son équipe, des destins croisés des publics qui s’y croisent et même un peu d’elle, tiens. Focus.

Peux-tu nous parler de ton parcours dans les grandes lignes?

En sortant des beaux-Arts de Mulhouse, j’ai fait le tour des associations qui s’occupaient de photographie. A Stimultania, le poste « emploi-jeune » était vacant : une crise-ouragan avait balayé les bénévoles, les ordinateurs et les dossiers. A 22 ans, tapie au fond d’un passage derrière une grille rouge, j’accueillais les huissiers. Je ne savais pas ce qu’étaient l’URSSAF et les congés spectacles. Il restait encore les fondateurs, Alex Schmitt et Bob Fleck. Je me souviens : dans ces murs glacés chargés d’histoire, je portais des boots de neige une bonne partie de l’année. L’équipe de bénévoles s’est peu à peu reformée. Puis la Ville de Strasbourg a revendu la parcelle. Le maître d’ouvrage nous a permis de rester pendant les travaux ; il neigeait de la poussière blanche. Avant de partir définitivement, nous avons organisé une soirée mémorable : 10 DJ, 1200 personnes. Je ne pourrai plus faire quelque chose d’aussi inconscient. La Ville a ensuite accepté de nous reloger dans la caserne des pompiers de la rue Kageneck. Je leur en suis reconnaissante. Nous avons travaillé avec un architecte et imaginé un lieu modulable. Même si les murs n’avaient plus la même histoire, nous avons eu les moyens de développer de nouvelles activités, comme le service des publics qui représente aujourd’hui une part importante de nos activités.

C’est un exercice de style délicat, mais si tu devais faire tenir les activités de Stimultania en quelques points névralgiques ?

Nous avons l’habitude de dire que Stimultania défend une photographie en prise avec l’Homme, une photographie debout, investie, sans distance frileuse, vive et écorchée. Que Stimultania montre une photographie qui interroge, force la critique, clame des mots, des idées. Nous travaillons avec les regardeurs, avec les publics, nous inventons de nouveaux outils de médiation, nous organisons des résidences.

D’ailleurs d’où est venu le nom de ce pôle de photographie ?

Stimultania vient de « stimuler ». Et le logo de la chaise longue n’a pas été dessiné pour les siestes estivales. C’est plutôt le symbole des transatlantiques, dépliés sur les ponts des paquebots. C’est la traversée, la découverte, le risque de l’aventure. Je répète souvent qu’à Stimultania « tout est possible ». Et c’est cela nous donne du plaisir.

Stimultania est également présent à Lyon. Explique-nous un peu les passerelles tissées entre ces 2 jumelles, la genèse de cette histoire, et l’identité de chacune des structures ?

J’ai emménagé à Lyon en 2008. J’avais besoin de respirer. Mais je suis intrinsèquement liée à Stimultania. Alors j’ai visité Lyon, rencontré les acteurs, les décideurs : il manquait à l’évidence un lieu d’éducation à l’image. Nous avons donc créé un nouvel établissement en 2012 et nous avons embauché une chargée des publics. Stimultania Strasbourg et Stimultania Lyon ont leur propre programmation, leur propre financement et sont insérés dans le maillage politique et social local. Mais chaque établissement profite des expériences de l’autre. Patrick Faigenbaum, par exemple, a commencé ce mois-ci une résidence dans un quartier en mutation de Lyon ; nous l’exposerons l’année prochaine à Strasbourg. Plus généralement, cette situation correspond à l’idée que se fait Stimultania des réseaux et de leur importance. Nous apprenons à être plus pointus et l’échange est extrêmement productif : les découvertes des uns servent aux autres. Et d’un point de vue plus personnel, j’aime beaucoup cette distance : elle me permet de diriger Stimultania avec du recul et de donner plus de liberté à l’équipe qui m’entoure.

On ne soupçonne généralement pas le coût ni la logistique exigée pour faire venir certaines expositions et la faire vivre dans son espace dédié. D’une manière générale comment s’opèrent le choix des expositions ?

La programmation est construite avec un conseil de programmation artistique. Je tiens beaucoup à la diversité des points de vue, à nos argumentations. Nous choisissons des photographes qui parlent de l’Homme. Evidemment, la question budgétaire est au cœur de nos préoccupations mais nous refusons qu’elle soit un frein. Nous menons des combats pour trouver les artistes, pour emmener les gens à donner le meilleur d’eux-mêmes, pour imaginer de nouvelles approches, pour rendre le lieu attachant. Et nous nous battons pour trouver les budgets dont nous avons besoin pour mener nos actions. J’aspire bien sûr à la sécurité financière mais j’apprécie aussi notre liberté et notre souplesse.

200m2 d’exposition, 90 mètres linéaires et un espace modulable. Du coup chaque exposition ou événement donne lieu à une autre configuration de l’espace, quelque part une renaissance. Justement comment réhabitez-vous l’espace du lieu ?

La scénographie est un peu notre plus-value, notre marque de fabrique. L’espace a été pensé dès le départ pour être modulable. En déménageant, nous quittions les salles aux parquets, les différents niveaux, la cour verdoyante et nous nous sommes installés dans un espace aux normes, plus pratique. En 2007, nous avons été rejoints par l’ex-chef de l’atelier de l’Opéra du Rhin, maintenant chef de l’atelier de l’Opéra de Toulouse. Un homme incroyable qui, aujourd’hui encore, à distance, reconstruit l’espace pour chaque exposition.

S’il fallait choisir une photo qui t’a marquée dans ta vie ?

Je pense plus facilement à la force d’un regard d’un dessin de Giacometti, aux traits d’une vieille dans une gravures de Rembrandt, au modulé d’un front chez Vermeer, à l’intensité d’une vidéo comme celle de Melik Ohanian « Seven minutes before » présentée à la Biennale de Lyon en 2005. Mais, pour parler photographie, celle d’Eisenstein, par exemple, présentée par Marin Karmitz à Arles en 2010, m’a fortement émue. Ces derniers mois, nous avons réussi à travailler avec les artistes qui me touchent fortement : Pieter Hugo, Maïmouna Guerresi, Patrick Faigenbaum. J’en suis fière. J’aime me tenir face à une image et soudain être consciente des respirations ; je ne peux plus quitter la photographie des yeux. Dans ces moments-là, je me dis que je ne regrette rien.

Transmettre sans imposer est un drôle de travail d’équilibriste. La médiation culturelle occupe ainsi une grande place dans la galerie, comment se vit-elle au quotidien ?

Nous accueillons de nombreux groupes. Des publics d’origines variées, avec des bagages inégaux. Nous les emmenons devant les photographies, leur présentons l’homme ou la femme qui a réalisé le travail et nous les aidons à trouver les mots pour qu’ils construisent leur propre interprétation, leur propre opinion.

Quelle est la valeur ajoutée des partenariats tissés avec les écoles, comme avec le collège de Pfulgriesheim par exemple ?

L’ouverture de l’établissement lyonnais nous a servi de prétexte pour établir le bilan de nos actions de médiation. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de faire intervenir des artistes. Nous, professionnels de la photographie, médiateurs, nous pouvions donner des outils, présenter des contextes mais nous devions aussi permettre à l’artiste d’être en contact direct avec les regardeurs. Bénédicte Bailly a travaillé avec les détenus de la Maison d’Arrêt de l’Elsau, Naohiro Ninomiya avec des classes primaires, Marion Pedenon avec des enfants et des personnes âgées, Viktoria Sorochinski avec les femmes de l’association Plurielles, Patrick Faigenbaum avec les habitants de Gerland et enfin Sonia Poirot avec des collégiens de Pfulgriesheim. Nous intégrons des dispositifs mais nous sommes très vigilants à ce que chaque projet vive en dehors des dates de création fixées. Nous gardons des liens avec les participants, Stimultania doit leur rester familier.

La galerie est un petit village où se croisent aussi les partenaires culturels locaux, les voisins de certains ateliers artistiques, un lieu à vivre donc. Cet aspect humain, d’échange de compétences, d’univers et de chaleur d’âme aussi lui donne-t-il un supplément d’âme ?

Quand je suis arrivée à Lyon, j’ai cherché à faire du bénévolat. J’ai dû passer des entretiens dans des ambiances, à ma surprise, plutôt tendues. Qui peut pourtant, de nos jours, se permettre de refuser des compétences ? A Stimultania, notre chargée de la communication est une bénévole, nos peintres sont des bénévoles, notre électricien est un bénévole, notre scénographe est un bénévole.. Les gens sont là parce qu’ils s’y sentent bien. Nous veillons à ce que chacun trouve son compte. Pour certains c’est la convivialité, pour d’autres une immersion dans les coulisses de la photographie. Toutes les générations et les catégories sociales sont mélangées. Stimultania est une grande famille. Bienveillante. Lors du dernier montage, un homme a passé sa tête par la porte et a demandé si nous avions besoin d’aide : le lendemain il était là, avec la caisse à outils de son garagiste, pour accrocher les sculptures de Maïmouna Guerresi.

Stimultania est associé à la photographie, mais aussi de plus en plus aux concerts, notamment grâce à certains partenaires comme Hiero. Quelle est ton envie avec cette dimension musicale grandissante ?

Quand je suis à Strasbourg et que j’assiste à un concert, j’ai l’impression de faire une pause. J’aime beaucoup ce temps de l’écoute. Les spectateurs sont là, attentifs, au milieu des photographies. Ces deux activités sont complémentaires. Les musiciens viennent à Stimultania avec la même générosité que les photographes. Le monde – crise et compétitivité – reste dehors.

N’y a-t-il pas une brèche ou une place à prendre pour mettre en valeur les talents de la photographie locale ? Ou estimes-tu que ce n’est pas votre rôle ?

Nous sommes attentifs à toute création. Nous suivons bien sûr les travaux des élèves des écoles d’art locales, les parcours des photographes alsaciens. Notre travail est aussi d’aller chercher, de battre la campagne. Nous voulons surprendre notre public à chaque exposition. L’art doit servir à cela, c’est le rôle que nous voulons lui faire tenir.

Stimultania est à Strasbourg depuis 1987. Quelles sont les perspectives d’avenir de la galerie?

On ne sait jamais où la vie nous mène. J’espère continuer ce travail auquel je crois. Notre action est importante dans notre société. Pour les artistes comme pour les publics. Je crois que la compétitivité et la crise ne sont pas les seules perspectives. Nous travaillons tous au quotidien pour offrir quelque chose d’autre.

La culture à Strasbourg pour toi ?

Je trouve qu’il y a un foisonnement de propositions plutôt épatant pour une ville de la taille de Strasbourg. J’aime ce dynamisme, la fraîcheur des nouveaux arrivants. Je suis très favorable au réseau d’art contemporain « Versant Est » qui regroupe les structures strasbourgeoises et celles du reste de l’Alsace. Ces réseaux permettent aux acteurs de se rencontrer. Je pense que c’est leur principale mission : donner aux gens le temps de s’asseoir autour d’une table. Qu’importe ensuite si les partenariats sont scellés. La discussion permet déjà de se positionner par rapport à l’autre, de partager, de réconforter. On dit que le milieu de la culture à Strasbourg est petit : oui, il est aussi stimulant.

Le mot de la fin ?

Semprun a écrit : « J’avais tout fait, toute ma vie, à mes risques et périls. » Pour moi la vie doit avoir cette audace. Je prends des risques, j’accepte l’inconfort parce que je crois à la justesse de notre travail. Encore une fois, je suis fière de ce que nous faisons. C’est une bonne raison de vivre.

 

Article : Mourad Mabrouki

Photo : Thomas Danesi

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